REPORTAGE. Retrouver l'odorat après le Covid-19Par Camille Gaubert le 16.05.2021 à 12h00
- cardio du viaduc
- May 16, 2021
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Les patients s'entraînent à reconnaître différentes odeurs enfermées dans des "stylos" ou avec le jeu du Loto des odeurs (ici à l'hôpital Foch, à Suresnes). CAMILLE GAUBERT
Cet article est issu du magazine Sciences et Avenir - La Recherche n°891 daté mai 2021.
"J'ai eu le Covid-19 il y a trois mois, et j'ai aussitôt perdu l'odorat." Charlène*, 33 ans, est inquiète : elle ne l'a toujours pas retrouvé. Aussi a-t-elle décidé de venir consulter Stéphane Hans, chef du service ORL de l'hôpital Foch, à Suresnes (Hauts-de-Seine). "Ça ne revient pas, et ça devient un peu difficile. Je ne sens pas les parfums, si ça brûle dans la cuisine je ne le sens pas non plus", continue-t-elle. Comme Charlène, environ 80 % des patients atteints de Covid-19 souffrent d'anosmie, c'est-à-dire d'une perte de l'odorat. "Ce symptôme concerne principalement les patients avec un Covid-19 léger ou modéré, et seulement 5 à 10 % des patients hospitalisés pour un Covid-19 sévère", explique Stéphane Hans. Certaines anosmies sont plus légères que d'autres. Charlène commence par passer un test pour évaluer ce qu'il reste de son odorat. "On s'aperçoit que certains patients qui se pensent anosmiques sont en réalité hyposmiques, c'est-à-dire qu'ils sentent moins bien les odeurs", commente le spécialiste.
Un suivi psychologique parfois nécessaire
Clou de girofle, mandarine, vieux poisson… : il fait sentir à Charlène 16 odeurs concentrées dans un kit de 16 "stylos" appelé "Burghart Sniffin'Sticks", créé en Allemagne où il fait référence. "C'est un peu perturbant", lâche Charlène en constatant qu'elle ne perçoit que quelques odeurs sans parvenir à les identifier. "La perte d'odorat peut avoir des conséquences psychologiques importantes pour les patients, confirme Stéphane Hans . Ils ne sentent plus l'odeur de leurs enfants, ni celle du gaz, ça peut être très mal vécu. Il m'est arrivé d'en adresser quelques-uns à des psychologues." Le diagnostic tombe pour Charlène : seulement quatre odeurs perçues sur les 16, c'est une anosmie sévère. Heureusement, avec une bonne prise en charge, 95 % des patients retrouvent l'odorat dans les six mois, d'après une étude européenne sur 3000 patients espagnols, belges, italiens et français, à laquelle Stéphane Hans a participé. Si cela prend autant de temps, c'est qu'il faut attendre que se régénèrent les cellules de la muqueuse olfactive qui ont été détruites par le Sras-CoV-2, le virus du Covid-19, et par l'inflammation qu'il a provoquée.
La nécessité d'agir le plus vite possible
Cette muqueuse est une petite zone de deux à trois centimètres carrés située au sommet des cavités nasales. S'y trouvent notamment des cellules réceptrices neurosensorielles, sur lesquelles se fixent les molécules olfactives que nous détectons ensuite comme des odeurs. Elles transmettent ainsi l'information aux deux bulbes olfactifs, dans le cerveau, pour traiter l'information. Si elles ont un rôle essentiel dans l'olfaction, ce ne sont pas les principales cibles du Covid-19. Elles ne possèdent en effet pas de récepteurs ACE2, ces protéines qui servent de porte d'entrée au virus. Contrairement à un autre type de cellules de la muqueuse olfactive, les "cellules de soutien". Portes d'entrée idéales pour le Sras-CoV-2, celles-ci ont notamment pour rôle de nourrir les cellules neurosensorielles et de décrocher les molécules olfactives qui s'y sont fixées, afin que notre odorat ne soit pas saturé et bloqué sur une seule odeur après y avoir été exposé.
Mais parfois, l'atteinte due au Covid-19 est encore plus profonde et peut atteindre les cellules basales, situées en dessous des cellules de soutien, elles aussi porteuses du récepteur ACE2. Ce sont ces cellules basales qui permettent la régénération des cellules de soutien, et le renouvellement des cellules neurosensorielles. "Il faut comparer cette atteinte de la muqueuse olfactive à une brûlure au 1er, 2e ou 3e degré : plus c'est profond, plus la cicatrisation sera difficile", explique Duc Trung Nguyen, médecin ORL au CHRU de Nancy. Ainsi, chez les patients dont les cellules basales ont été détruites, il est possible que l'odorat ne revienne que partiellement… ou pas du tout. "Les bulbes olfactifs peuvent également être affectés chez les patients atteints de Covid-19", explique Stéphane Hans à Charlène.

Le virus affecte l'odorat en touchant les cellules de soutien, voire en ciblant les cellules basales, plus en profondeur dans la muqueuse. Dans les cas les plus graves, le bulbe olfactif est même atteint. Crédit : BRUNO BOURGEOIS Pour réparer au mieux les dégâts, il faut agir vite. Car sans intervention, les cellules de la muqueuse olfactive peuvent se régénérer de façon incomplète ou aberrante, conduisant le patient à percevoir une autre odeur que celle à laquelle il est exposé (parosmie) ou même à sentir des odeurs alors qu'il n'est exposé à rien de particulier (phantosmie). Si l'odorat n'est pas revenu après deux semaines, qui sont le temps de régénération des cellules de soutien, il faut consulter sans attendre, conseille donc Duc Trung Nguyen. Avec un an de recul sur la maladie, plusieurs outils sont aujourd'hui à la disposition des soignants. Le traitement commence par des lavages de nez au sérum physiologique, pour évacuer les débris de la muqueuse, tandis que des corticoïdes sont administrés pour éteindre l'inflammation causée par le système immunitaire. Vient ensuite la rééducation olfactive, généralement sur plusieurs mois, "au moins 16 semaines", précise Duc Trung Nguyen. L'importance du phénomène de réminiscence La rééducation consiste pour le patient à sentir matin et soir, chez lui, des odeurs précises qu'il est susceptible de reconnaître. À cette fin Stéphane Hans conseille à Charlène de se procurer un jeu de société appelé le Loto des odeurs, dans lequel 30 petits flacons contiennent des odeurs synthétiques. Le jeu est normalement de chercher à les identifier juste en les reniflant, mais pour la rééducation, c'est l'inverse qui est prescrit. "Vous regardez d'abord quelle est l'odeur que vous allez sentir, puis vous la sentez tout en essayant de vous remémorer l'odeur en question, explique Stéphane Hans à sa patiente , car il y a un phénomène de réminiscence qui est très important dans la rééducation olfactive." Lors de son test, Charlène peut tout juste percevoir que l'odeur des "stylos" "pique le nez", qu'elle est "un peu sucrée" ou encore, dans le meilleur des cas "qu'elle rappelle le matin… Comme le café ?", suggère-t-elle timidement ? "Les odeurs sont très liées à nos émotions et nos souvenirs, c'est la fameuse madeleine de Proust", explique Olga Alexandre, neuropsychiatre et biochimiste. Spécialiste des substances odorantes, elle a développé en 2014 la méthode OSTMR (Olfactory Stimulation Therapy and Memory Reconstruction, en anglais), soit "thérapie par stimulation olfactive et reconstruction de la mémoire". "En employant bien les odeurs, on peut travailler sur la mémoire autobiographique et soigner beaucoup de choses", explique-t-elle. En Biélorussie, son pays natal, elle a commencé notamment par soigner le stress, le deuil, les troubles anxieux ou encore la gestion de la douleur des patients atteints de maladies incurables, dont des cancers, en soins palliatifs pédiatriques. C'est face aux anosmies que peuvent provoquer les chimiothérapies qu'elle a eu l'occasion de mettre au point le protocole OSTMR de prise en charge des troubles de l'odorat. En 2018, une formation spécialisée est ouverte en partenariat avec l'École supérieure du parfum, à Paris, dont la moitié des inscrits sont des professionnels de santé. Avec l'arrivée du Covid-19, le protocole est affiné pour correspondre à ces nouveaux patients et aux désordres olfactifs qu'ils peuvent parfois développer. Cette nouvelle méthode répond à un vrai besoin français, où aucune méthode de rééducation olfactive n'est unanimement adoptée et validée. "En France, nous n'avons pas comme au Royaume-Uni ou en Allemagne de kits d'odeurs standardisés et validés scientifiquement », se désole Duc Trung Nguyen, qui travaille justement à en développer un de fabrication française. Réveiller une émotion chez le patient Dans ce paysage français hétérogène où sont utilisés les « stylos » à odeur, les méthodes maison comme le Loto des odeurs ou même les mélanges d'huiles essentielles, dont la toxicité potentielle force à la prudence, l'OSTMR et son approche personnalisée rencontre donc un joli succès. Car si la standardisation a du sens, de façon à harmoniser les prises en charges et leur efficacité sur l'ensemble du territoire, l'OSTMR a au contraire fait le choix de la flexibilité. Parmi un kit de 80 odeurs développées selon les normes chimiques européennes en vigueur, sont choisies celles qui sont le plus susceptibles de réveiller une émotion chez le patient, comme une odeur iodée pour un amateur de vacances à la mer, explique Olga Alexandre. Cette approche est plébiscitée par les professionnels de l'olfaction, comme les parfumeurs, cuisiniers ou sommeliers, particulièrement démunis par leur anosmie. "Nous ne nous contentons pas de faire reconnaître l'odeur de la rose au patient, nous voulons qu'il puisse différencier la rose de Damas de la rose musquée", pointe la spécialiste. Dans son kit, les odeurs d'herbe coupée, de riz cuit, de vieux livre ou encore de cheminée ont permis à 88 % des patients de récupérer leur odorat. Tout comme Duc Trung Nguyen, Olga Alexandre aimerait que son kit soit adopté plus largement. * Le prénom a été modifié.
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