Dans le cauchemar sans fin du Covid, la réa ne dort jamais
- cardio du viaduc
- May 5, 2021
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Par AFP le 05.05.2021

Un patient atteint du Covid-19 en soins intensifs, à l'hôpital Louis Mourier de Colombes (Hauts-de-Seine), dans la nuit du 4 au 5 mai 2021AFP - ALAIN JOCARD
La troisième vague de Covid semble enfin refluer, mais à Colombes (Hauts-de-Seine) le service de réanimation affiche toujours complet et les soignants ne ferment pas l'oeil de la nuit, convaincus que la lente décrue durera "au moins jusqu'à l'été". Dans le vacarme incessant des alarmes, l'équipe de nuit enchaîne les soins: toilettes, perfusions, aspirations des bronches... A 22H15, une demi-douzaine de soignants s'attroupe dans la chambre 9. C'est ce qu'il faut de bras pour retourner sur le ventre un malade intubé, dialysé et sous circulation sanguine extra-corporelle. Un homme de 32 ans, sans comorbidité ni antécédent, aux poumons rongés par le coronavirus et dont la vie ne tient plus qu'à quelques fils. A ce moment de la soirée, il ne reste qu'un seul lit disponible sur les 12 du service de réanimation de l'hôpital Louis-Mourier. Juste à côté, l'unité de soins continus accueille quatre patients pour cinq places. Au bloc opératoire, les quatre salles de réveil transformées en soins intensifs sont occupées.

Un patient atteint du Covid-19 pris en charge en soins intensifs, à l'hôpital Louis Mourier de Colombes (Hauts-de-Seine), dans la nuit du 4 au 5 mai 2021 (AFP - ALAIN JOCARD)
Les chiffres nationaux ont beau s'améliorer depuis quelques jours (5.504 patients Covid en soins critiques mardi), sur le terrain les voyants restent au rouge. "Si on en croit le nombre de sollicitations qu'on reçoit, la gravité des patients qu'on prend en charge et le taux d'occupation qu'on a actuellement, clairement nous ne sommes pas encore sur une phase de décroissance", estime le Pr Jean-Damien Ricard, 53 ans, chef d'un service qui évacuait jusqu'à la semaine dernière des malades à l'autre bout de la France pour pouvoir en accueillir d'autres. Le flux s'est à peine tari: "On dépasse 100 entrées par jour en réanimation en Ile-de-France", alors qu'à l'automne, après la deuxième vague "on était descendu à 30". En partant de si haut, la décrue "va prendre des semaines", prédit le praticien de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, qui "craint que ça nous emmène au moins jusqu'à l'été". Pourtant le déconfinement est amorcé, avec des étapes cruciales annoncées pour le 19 mai, le 9 juin et le 30 juin. "Notre inquiétude c'est que les choses aillent trop vite" et que l'épidémie remonte en flèche. Il faudrait alors tirer sur le frein "de façon extrêmement énergique, pour éviter qu'on se retrouve de nouveau complètement submergés". - "Pression continue" - Justement, à 23H45, c'est le coup de feu: un patient amené par le Samu est admis directement dans le service. Un homme de 67 ans qui en paraît dix de plus, diabétique en pleine crise d'acidocétose. Son corps cyanosé ne laisse échapper que de faibles gémissements. Très vite, la décision est prise de l'intuber, sans attendre le résultat du test PCR.

Une équipe médicale au chevet d'un patient atteint du Covid-19, à l'hôpital Louis Mourier de Colombes (Hauts-de-Seine), dans la nuit du 4 au 5 mai 2021 (AFP - ALAIN JOCARD)
Voies veineuses, cathéter, hydratation, sédation... "Qui a la clé des stups ?", lance une infirmière. Une dizaine de soignants s'active dans un ballet orchestré par le Dr Noémie Zucman, 32 ans. "C'était notre dernier lit de réa, à ce stade on est complet", constate-t-elle. Il a fallu choisir entre "quatre appels quasi-simultanés", pour des cas de Covid ou d'autres pathologies. "Le rythme des admissions s'est un peu ralenti, mais on sent que la pression est toujours continue et dense", assure-t-elle. Difficile pour autant de s'habituer à ces clusters familiaux en pleine recrudescence, avec leur cortège de drames: "On a souvent le père et la fille, le mari et la femme, c'est fréquent" et "ça aurait pu être évité", dit-elle. Mais entre la "lassitude" générale et le "message d'optimisme qui dit qu'on va +se retrouver+ et qu'on déconfine, les gens sont quand même moins vigilants au quotidien avec leurs proches". Sans perspective de répit "d'ici les vacances d'été", la fatigue s'accumule, à la cadence "acceptable" de 12 heures par jour et d'une garde de 24 heures par semaine, en principe - car la veille, la jeune réanimatrice est "restée jusqu'à 23H00, au lieu de 18H00".

Temps de pause dans l'unité de soins intensifs de l'hôpital de Colombes (Hauts-de-Seine) dans la nuit du 4 au 5 mai 2021 (AFP - ALAIN JOCARD)
Sur la brèche jour et nuit, les soignants savourent la moindre pause. A 01H00 du matin, quatre infirmiers prennent leur dîner. Caroline, 26 ans, arrivée en novembre après deux années aux urgences, trouve que la réa "c'est lourd", d'ailleurs elle "ne coupe plus entre vie professionnelle et personnelle". Sirine, 23 ans, diplômée en juillet, n'a "plus l'impression d'apprendre" son métier, car le Covid "c'est tout le temps la même histoire". Yann, 23 ans également, se souvient qu'avant l'épidémie "il y avait toujours un petit moment calme où tu pouvais te poser" la nuit. "Maintenant il n'y a plus de temps mort."
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