Covid-19 : l’ARN du virus peut-il s’insérer dans notre génome ?
- cardio du viaduc
- Jun 7, 2021
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Covid-19 : l’ARN du virus peut-il s’insérer dans notre génome ?
Par Nicolas Gutierrez C. le 31.05.2021 à 14h07 Lecture 10 min.
Une étude récente affirme que l’ARN du coronavirus peut s’intégrer dans l’ADN humain, étude rapidement démentie par une seconde, assurant elle qu’il s’agit d'une conséquence accidentelle et non significative du séquençage. Qu’en est-il réellement ? Sciences et Avenir a interrogé les chercheurs impliqués dans ces travaux.

UNE TECHNICIENNE TRAVAILLE SUR LE SÉQUENÇAGE DU GÉNOME DU SARS-COV-2 ET DE SES VARIANTS À L'INSTITUT PASTEUR, LE 21 JANVIER 2021 À PARIS. AFP - CHRISTOPHE ARCHAMBAULT Du Sars-CoV-2 dans nos gènes ? C’est l’effrayante possibilité avancée par une étude du MIT américain, publiée le 6 mai 2021 dans le journal PNAS par le chercheur Rudolf Jaenisch, un expert en génétique et épigénétique très respecté dans son domaine. Cette recherche a mis en évidence des anomalies génétiques lors du séquençage du virus chez des personnes infectées : des hybrides où l'ARN du virus se mélange avec le matériel génétique humain, que les scientifiques qualifient de "chimères". L'équipe de Jaenisch arrive donc à la conclusion que des bouts de l’ARN du virus pourraient s’insérer dans le génome de ces personnes (créant lesdites chimères), ce qui pourrait être à l’origine des formes longues du Covid-19. Mais à peine une semaine après sa publication, une autre étude de l’Institut américain de la santé (NIH), en collaboration avec l’université Purdue et l’université du Michigan (Etats-Unis), est venue contrer ces résultats. Ces 3 équipes affirment que ces chimères sont simplement des artefacts - autrement dit des conséquences accidentelles et non significatives du séquençage - causés par les techniques de séquençage et qu’il est très peu probable que l’ARN du coronavirus puisse s’intégrer dans notre génome. Pour mieux comprendre cet imbroglio, Sciences et Avenir a interrogé les chercheurs ayant dirigé ces quatre études : Rudolf Jaenisch du MIT, qui croit donc à l'intégration de l'ARN du coronavirus dans l'ADN humain, et les chercheurs opposés à cette hypothèse : Ben Afzali (expert en immunorégulation au NIH), Christiane Wobus (virologue spécialisée dans les interactions entre Sars-CoV-2 et l’humain à l’université du Michigan) et Majid Kazemian (expert en séquençage à haut niveau à l’université Purdue). Même s’ils diffèrent encore sur cette potentielle intégration génétique, ils tombent tous d’accord sur une autre question d’une haute importance : il est extrêmement invraisemblable que la même chose puisse arriver avec l’ARN des vaccins de Pfizer et Moderna. Voici les réponses des scientifiques, qui ont répondu indépendamment les uns des autres à Sciences et Avenir. "L’intégration de l’information génétique des virus dans le génome humain est déjà arrivé dans l’évolution, même si c’est rare" Sciences et Avenir : Connaissons-nous d’autres virus qui peuvent s’insérer dans le génome humain ? Christiane Wobus : Des virus comme les virus à ADN et les rétrovirus (comme le VIH) peuvent s’intégrer dans le génome, mais on n’a jamais vu cela avec d’autres coronavirus ni avec d’autres virus à ARN, comme le Sars-CoV-2, dont le cycle de réplication se passe dans le cytoplasme. Autrement dit très loin de l’ADN qui lui se trouve dans le noyau. Donc il est très peu probable qu’une polymérase (la protéine qui assemble les acides nucléiques pour constituer un brin d'ARN, ndlr) puisse commencer son action dans le cytoplasme et puis se déplacer dans le noyau et continuer là-dedans. Ça rend l’hypothèse des chimères très peu plausible. Même des virus à ARN qui se répliquent dans le noyau, comme le virus de la grippe, qu’on connaît depuis plus d’un siècle, ne s’intègrent pas dans le génome alors que cela serait bien plus probable qu’avec le coronavirus. Rudolf Jaenisch : L’intégration de l’information génétique des virus dans le génome humain est quelque chose qui est déjà arrivé dans l’évolution, même si c’est rare. C’est tout à fait possible qu’un virus cytoplasmique, comme le Sars-CoV-2, soit converti en ADN et puisse entrer dans le génome. Majid Kazemian : Dans le temps long de l'évolution, c’est-à-dire des millions d’années, il est possible que tout et n’importe quoi puisse s’intégrer dans le génome. Donc dans l’absolu on pourrait voir l’intégration de ces coronavirus. Mais ce sont des évènements extrêmement rares ; ils ne peuvent pas expliquer l’abondance de chimères qu’on a l’impression de trouver en séquençant (car on les trouve dans presque tous les échantillons étudiés). "Ce genre d’expérience doit être vérifiée avec d’autres approches" Sciences et Avenir : Quel pourrait être le mécanisme pour cette potentielle intégration du coronavirus ? Rudolf Jaenisch : Nous avons des éléments transposables dans notre génome. Il s'agit de bouts d'ADN qui peuvent s'y déplacer : ils se détachent d'un endroit pour se réinsérer ailleurs. En s'exprimant, ces "transposons" produisent de l'ARN et des retrotranscriptases, c'est-à-dire des enzymes qui transforment cet ARN en ADN et lui permettent de se réintégrer ailleurs dans le génome. Par exemple, les transposons LINE1 (pour longs éléments nucléaires intercalés, ndlr) représentent 17 % de notre génome ; ils sont capables d'un tel mécanisme. Et non seulement ils peuvent se réintégrer, mais ils peuvent aussi intégrer d’autres ARN, comme celui du Sars-CoV-2. On reconnaît ces intégrations par les signatures du LINE1 : une répétition de dix à vingt paires de bases et une séquence de reconnaissance par une endonucléase, qui coupe l’ADN et débute l’intégration. Ces deux signatures sont présentes dans la majorité des intégrations qu’on voit dans notre génome. C’est un mécanisme majeur d’intégration d’ARN viral. Et on voit ces signatures dans les séquences de ces chimères avec Sars-CoV-2, montrant qu’il s’agit bien d’une intégration médiée par ces transposons. Ben Afzali : L’idée qu’un transposon dans le noyau puisse prendre de l’ARN du cytoplasme et le transformer en ADN pour ensuite le ramener dans le noyau et l’intégrer dans le génome paraît très peu probable. Le Dr Jaenisch a montré cette possibilité en surexprimant les LINE1, mais quand on les surexprime ainsi cela va forcément créer des choses qu’on ne voit pas dans la réalité. Car ces transposons en excès vont intégrer tous les ARN qu’on ajoute dans la culture, pas seulement celui du Sars-CoV-2. Ce genre d’expérience doit être vérifiée avec d’autres approches, toutes seules elles ne prouvent pas grande chose. Rudolf Jaenisch : Il ne faut pas oublier que même si LINE1 est normalement très peu exprimé, il peut s’activer davantage lors du stress, comme lors d’un cancer ou d’une infection. Nous l’avons déjà vu chez des patients, y compris ceux avec Covid-19. Cette suractivation pourrait faciliter l’intégration, tout comme la surexpression de LINE1 dans nos expériences. En plus, nous avons aussi confirmé ces résultats avec des cellules qui ne surexprimaient pas LINE1. Ben Afzali : Mais la meilleure évidence ce sont les patients, et on n’a pas trouvé d’évidence dans ce sens chez eux. "On a vérifié en mélangeant de l’ARN de mouches avec de l’ARN humain" Sciences et Avenir : Pourtant, on voit bien ces chimères dans les séquences faites avec des échantillons de patients… Majid Kazemian : On avait aussi remarqué ces chimères depuis un moment. On pensait déjà que c’était probablement des artefacts, où l’ARN du virus se mélange avec l’ARN humain dans le tube où on prépare le séquençage, mais on voulait en être sûrs. On a vérifié cette hypothèse en mélangeant de l’ARN de mouches avec de l’ARN humain dans les tubes d’essais. C’est-à-dire dans des conditions où il est impossible qu’il y ait une intégration dans le génome puisqu’il n’y a pas d’ADN humain, seulement de l’ARN. Et pourtant, on trouve le même pourcentage de ces chimères que celui observé dans les séquençages de Covid. Tout simplement parce que ces techniques sont très sensibles et parviennent à détecter des sous-produits très minoritaires, comme ces chimères. D’ailleurs, on a regardé dans des librairies de séquences d’autres virus et on voit le même taux de ces chimères, qui ne dépasse jamais le niveau du bruit de fond. Cela confirme que ce sont des artefacts. Christiane Wobus : Les polymérases utilisées pour amplifier les acides nucléiques lors de ces séquençages peuvent faire des erreurs. De temps en temps, elles peuvent lâcher leur matrice et s’accrocher à d’autres molécules à proximité, créant ces hybrides d’ARN. C’est la base de recombinaisons dans les virus. Mais c’est possible seulement avec des molécules qui se trouvent à proximité, pas entre le noyau et le cytoplasme. Par contre, quand on éclate les cellules et qu’on mélange tout dans un tube pour faire du séquençage, les molécules d’ARN de différentes origines (virus et humain) se trouvent à proximité et peuvent donc former ces hybrides. "Ce que nous avons vu avec des cellules en culture nous semble très convaincant" Ben Afzali : Nous avons confirmé cette hypothèse en augmentant l’amplification d’ARN viral. Imaginez qu’on cherche une aiguille très particulière dans une botte de paille, où il y a aussi d’autres aiguilles plus ordinaires et cette aiguille en or représente 1 % du total des aiguilles. Si on utilise un magnet très puissant, on devrait pouvoir faire ressortir ces aiguilles et si on augmente la capacité de ce magnet on devrait voir leur quantité augmenter. Or la quantité des aiguilles normales augmente, mais pas celle des aiguilles en or, montrant qu’elles sont très probablement des artefacts. Rudolf Jaenisch : On a été pressé par le journal pour publier le preprint en décembre, où on parlait seulement des séquences des patients. C’est quelque chose que je regrette, le preprint n’avait pas encore d’évidence directe d’intégration génomique. On y a trouvé des transcripts chimériques dans les séquençages de plusieurs patients, mais il était tout à fait possible que cela soit dû à des artefacts causés par des erreurs de polymérase lors du séquençage. Donc cet argument des chimères trouvées dans ces séquences ne tient pas à lui tout seul, il faut être honnête par rapport à ça. Mais nous avons trouvé d’autres arguments depuis. Par exemple, nous avons mis en évidence ces chimères dans des cellules en culture infectées par le coronavirus, utilisant trois techniques différentes de séquençage. Dont la technique de Nanopore, qui ne nécessite pas de PCR et donc ne va pas créer ces chimères par erreur. Donc même si on n’a pas d’évidence directe pour cette intégration chez des patients (ce qui pourrait très difficile à trouver) ce que nous avons vu avec des cellules en culture nous semble très convaincant. Majid Kazemian : Presque toutes les technologies de séquençage à haut débit disponibles produisent un peu de bruit de fond, des artefacts qui nous font voir des fantômes… y compris la technique de Nanopore. De plus, cette technique a été utilisée uniquement avec des cellules surexprimant LINE1 et donc a aussi les problèmes liés à cette surexpression. "Le Dr Jaenisch est un membre très respecté de l’Académie nationale des sciences" Sciences et Avenir : donc, l’ARN du coronavirus s’intègre-t-il ou pas dans notre génome ? Ben Afzali : On ne pense pas que ça soit probable. Mais ceci est simplement une discussion scientifique et intellectuelle sur la nature des interactions entre les cellules et des virus. Ce qui est essentiel de comprendre est que même si cela arrivait et que des bouts de Sars-CoV-2 parvenaient à s’intégrer dans le génome, il s’agirait de bouts tellement petits qu’ils ne pourraient pas recréer des protéines pouvant reconstituer le virus ou avoir la moindre conséquence sur la santé humaine. Rudolf Jaenisch : Je pense que nos résultats sont convaincants. Ce que l’autre papier montre est que les chimères qu’on trouve dans les librairies de séquences peuvent être des artefacts, c’est-à-dire qu’ils réfutent seulement les arguments de notre preprint. Et là-dessus, je suis d’accord. Mais leur article ne réfute pas les arguments qu’on a avancés plus tard. Donc ils ne peuvent pas exclure l’intégration, ça n’a pas de sens. Majid Kazemian : Le Dr Jaenisch est un membre très respecté de l’Académie nationale des sciences et on prend très au sérieux ce qu’il dit, même si là-dessus nous ne sommes pas d’accord. D’ailleurs, je crois que les critiques qu’il a reçues après son preprint et sa publication sont exagérées. Sciences et Avenir : Et qu’en est-il pour les vaccins à ARN, comme ceux de Pfizer et Moderna ? Serait-il possible que cet ARN s’insère dans notre génome ? Rudolf Jaenisch : C’est très peu probable que cela arrive avec les vaccins, car ces vaccins ne représentent pas un stress comme l’infection, donc il n’y aurait pas d’activation de LINE1 et sans cela l’intégration est très peu probable. Ben Afzali : Pour les vaccins, il est clair qu’il n’y a aucune possibilité que l’ARN qu’ils contiennent puisse s’intégrer dans le génome humain. COVID-19 CORONAVIRUS GÉNOME VACCIN CONTRE LE COVID VACCIN PFIZER MODERNA
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